Article de fond

Et si la prévention climatique devenait un levier de performance ?

Date de publication 18 septembre 2025


Les aléas climatiques se multiplient et transforment en profondeur les règles du jeu pour les entreprises. Fréquence des sinistres, sophistication des outils prédictifs, montée en puissance des exigences assurantielles… Jérôme Picard, Responsable de l’ingénierie de compte chez l’assureur FM, décrypte les évolutions majeures en cours et les leviers technologiques pour bâtir une résilience durable pour les entreprises.

Quel impact les risques climatiques ont-ils sur la nature et l'ampleur des sinistres ?

Jérôme Picard : Nous constatons une augmentation significative des sinistres climatiques, à la fois en fréquence et en impact financier. En France, ces risques assurés représentent environ 6 milliards d’euros par an, soit quatre fois plus qu’il y a une trentaine d’années. À l’échelle mondiale, la moyenne annuelle de sinistres assurés liés aux catastrophes naturelles a doublé passant de 70 à 140 milliards de dollars au cours de la dernière décennie.

Ce qui change aussi, c’est la nature des périls. On assiste à une montée en puissance des phénomènes dits « secondaires » : inondations, grêle, orages supercellulaires, tornades… Autant d’événements qui étaient moins présents auparavant, mais qui deviennent aujourd’hui plus fréquents et plus destructeurs. On observe d’ailleurs qu’ils sont directement liés au changement climatique. Ces périls prennent progressivement le pas sur les risques majeurs primaires comme les ouragans ou les séismes.

Sur la scène internationale, la France n’est pas plus exposée que d’autres pays. Elle est évidemment concernée au même titre. L’enjeu pour les entreprises, c’est de bien comprendre que cette évolution structurelle des risques va continuer à s’accentuer dans les années à venir.

En quoi les nouvelles technologies, comme l’intelligence artificielle et les outils prédictifs, changent-ils la manière d’anticiper les impacts climatiques ?

J. P. : L’IA joue un rôle de plus en plus important dans la compréhension et l’anticipation des risques climatiques. Elle ne remplace pas l’analyse terrain, mais elle vient l’enrichir en permettant de croiser et d’exploiter des volumes de données toujours plus importants. Historiques de sinistres, cartes d’aléas ou données techniques par exemple. Elle permet de modéliser finement ces éléments, puis de les combiner pour produire des analyses prédictives utiles à la prise de décision.

Ces outils permettent notamment de prioriser les actions à mettre en œuvre pour limiter les expositions les plus critiques. Mais encore faut-il valider la pertinence des modèles. Pour cela, on les entraîne sur des événements passés, afin d’évaluer leur capacité à se reproduire.

Chez FM, nous développons nos propres outils d’analyse prédictive, avec l’objectif d’atteindre un niveau de précision encore plus élevé. Cela permettra une lecture beaucoup plus fine du risque à l’échelle locale.

Les jumeaux numériques peuvent-ils devenir un outil stratégique dans la gestion des risques climatiques ?

J. P. : Les jumeaux numériques ont un réel potentiel pour mieux anticiper l’impact des événements climatiques sur les infrastructures et la continuité d’activité. Nous collaborons d'ailleurs avec le LIST (Luxembourg Institute of Science and Technology) dans le cadre de l’ouverture d’un nouveau centre de recherche au Luxembourg ; notre troisième après ceux situés aux Etats-Unis et à Singapour. Nous développons une plateforme capable de simuler des aléas comme les inondations ou les feux de forêt, en intégrant l’évolution des paysages et des données climatiques.

L’objectif est de visualiser concrètement l’effet d’un aléa sur un réseau routier, un site industriel ou une chaîne logistique, en temps réel ou dans des scénarios futurs. Ces outils peuvent aussi fournir des tableaux de bord dynamiques, pour guider les décisions en cas d’alerte. À terme, ils dépasseront largement le secteur industriel.

Comment les attentes des assureurs évoluent-elles face à l’intensification des risques climatiques ?

J. P. : L’évolution des exigences s’explique d’abord par l’impact financier croissant des sinistres, mais aussi par leurs effets sur les chaînes d’approvisionnement. Un sinistre localisé peut perturber toute une industrie.

Face à cela, les assureurs agissent sur deux plans. Le premier est celui de la souscription, avec parfois des limitations de couverture sur certains périls en fonction des régions. Le second, plus structurant, concerne la prévention. L’idée est d’analyser les expositions et de proposer des mesures de mitigation, à l’échelle d’un site ou d’une chaîne de valeur.

Chez FM, nous soutenons cette démarche avec le Resilience Credit : une redistribution de 5% des primes à nos clients, pour les inciter à investir dans des actions concrètes de réduction de risque.

Selon vous, à quoi ressemblera une entreprise véritablement résiliente face au climat d’ici quelques années ?

J. P. : Une entreprise résiliente intégrera pleinement le risque climatique dans sa stratégie à long terme, bien au-delà du simple respect des obligations réglementaires. Elle s’appuiera sur une vision globale de ses expositions, qu’il s’agisse de ses sites, de ses fournisseurs ou de ses chaînes logistiques.

Elle saura aussi tirer parti des technologies disponibles pour affiner ses analyses et accélérer sa capacité de réaction. L’innovation - qu’il s’agisse d’outils prédictifs, de modélisation ou de systèmes d’alerte - jouera un rôle clé dans cette transformation.

Enfin, elle s’engagera dans des modèles plus vertueux d’un point de vue environnemental : recours aux énergies renouvelables, utilisation de matériaux moins carbonés… tout en prenant en compte les nouveaux risques que ces choix impliquent, comme ceux liés aux batteries lithium-ion ou aux panneaux photovoltaïques, que FM analyse également bien entendu. Cet article a été publié à l'origine dans L'Argus de l'Assurance.